Médiation Culturelle

Les imaginaires du Cirque

Tout au long de l’année 2019, un projet en deux axes permet aux jeunes détenus de l’Établissement pénitentiaire de Lavaur de découvrir les arts du Cirque.
Un premier volet, autour de la magie nouvelle et des interventions de Vincent Reversat (Cie la Parenthèse d’Oubli): Ici, dextérité et manipulation physique permettent de mettre au centre du projet les questions autour de la manipulation psychique, de la croyance, de la connaissance, de la vérité, de notion de vrai/faux. L’idée est d’ancrer ces pratiques dans des réalités de techniques et de savoir-faire propices à faire rêver, non à tromper ou voler. Vincent Reversat est intervenu durant quatre semaines, en février, en avril et en août.
Le second volet s’est construit autour de la découverte et de la pratique de différentes disciplines de cirque, et de la dimension interculturel de cet art. Ateliers de pratique, spectacles au sein du gymnase, présentation de vidéos sur le cirque au Maroc, en Ethiopie et au Cambodge, création par les jeunes détenus et représentation de ces derniers, c’est un projet qui révèle et nécessite une grande implication des artistes associés (Thomas Bodinier et Cécile Fradet pour l’accompagnement à la création, Heini, Sophie et Ananda pour la partie cabaret), du personnel éducatif et pénitentiaire et bien évidemment des jeunes.
Une première partie s’est déroulée du 9 au 19 juillet 2019, une seconde est prévue du 23 au 27 décembre 2019.

Voici le témoignage de LôLô, musicien du cirque Plume venu assister à la représentation des jeunes, le 19 juillet dernier au sein de l’EPM.

Bonjour Thomas, 

(…) Il est des rencontres, des événements, des lieux, des sons … qui bouleversent. (…)

La première fois que j’ai mis les pieds dans une prison c’était il y a un peu plus de vingt ans, pour participer à des ateliers de danse contact, c’était à Besançon, une prison pour adultes avec des peines plutôt « courtes ». 

En arrivant à Lavaur je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre, même si Andrea m’en avait un peu parlé. 

Dehors, en mangeant du melon et buvant du mate, rencontre avec les éducs, les encadrants qui racontent les déboires de la semaine et du matin même. Petit stress…On se rencontre expressément, waouh, quel regard…Puis vient l’heure d’y aller.

Premier contrôle, passeport, portique de sécurité…jusque-là tout va bien…petit passage en extérieur d’où je peine à percevoir une rumeur lointaine avant d’entrer « dans le dur » du lieu.

Deuxième point de contrôle et premiers barreaux, même me sachant être « du bon côté », angoisse, oppression…valse des hommes en bleu et des talkies qui crachent des informations incompréhensibles pour le commun « des gens libres ».

La grille s’ouvre, il faut maintenant traverser la cour, au milieu des unités, sous un soleil de plomb…interminable. La rumeur n’en est plus une, ça parle, crie, hurle, s’insulte, se cherche, se toise d’une fenêtre à l’autre ou plutôt d’une grille à l’autre, il y a tellement de barreaux que les fenêtres sont invisibles. J’ose à peine lever les yeux….

Arrivée au gymnase, soulagement, un trapèze, un fil, des tapis…ouf, je suis dans mon élément. 

Les jeunes arrivent, un par un, systématiquement passés au détecteur de métaux, pas certain que ce soit vraiment rassurant et saluent absolument tout le monde avec les yeux qui brillent et le sourire aux lèvres, contraste frappant avec « la violence sonore » extérieure.

Là commence un déferlement d’humanité, de respect, de tendresse voire d’amour…Cécile et toi les accueillez avec un mot, un geste pour chacun d’eux, ce sont des artistes… Echauffements…

Les spectacles se déroulent dans une réelle ambiance et cohésion de troupe, encouragements, soutiens…J’en oublie où je suis réellement, je suis à une restitution d’ateliers cirque par des gamins qui ont l’âge, voir moins, de ma fille…

Ils jouent tous le jeu, se donnent à fond, se plantent mais recommencent…à mon tour d’avoir les yeux qui brillent…Après la surprise des premiers applaudissements on dirait qu’ils les prennent comme des caresses, comme des câlins et s’excuseraient presque d’aimer ça … 

Je n’ai pas envie que ça s’arrête, pas pour moi, pour eux, ils sont heureux, légers…il n’y a plus de barreaux, plus de cellules, plus de gardiens, plus d’éduc, il y a une scène, une piste, un public. Ce sont des artistes qui donnent le meilleur d’eux-mêmes dans la plus pure tradition du spectacle vivant en général, du cirque en particulier.

Saluts…les artistes se prennent par la main, les épaules, gestes anodins qui, en ces lieux deviennent à mes yeux aussi forts si ce n’est plus, que la performance physique. L’humanité prend ici tout son sens, elle est là la vraie performance…

Comme une envie de les prendre un par un dans les bras, de les remercier, de les féliciter, de les encourager à ne rien lâcher, de les attendre à leur sortie pour les accompagner…

Echanges avec quelques-uns d’entre eux autour du goûter, ils ont pris du plaisir, ils en redemandent, moi aussi…

Arrive l’heure de retourner à leur réalité, ils repartent comme ils sont arrivés ou presque, ils saluent chacun d’entre nous mais sourient déjà un peu moins….

Vous avez réalisé un travail titanesque.

Merci à toi, à Cécile, à ces artistes d’un jour, à Andrea, Patricia, Patrick, Blandine, Serge et celles et ceux que j’oublie, de m’avoir fait vivre ces instants magiques, riches, où émotions et humanités prennent tout leur sens. J’ai pris une grosse claque, ce jour-là, j’ai pleuré en montant dans mon camion, une grosse mais belle claque, pleine d’espoirs, de désirs de rendre la vie plus douce et de créer des vocations, d’envies de, à défaut de pouvoir supprimer ce genre d’établissement, y faire entrer un peu d’humanité…vous m’avez tout simplement donné envie de faire comme vous et permis de relativiser les « petits soucis » du quotidien.

Je voulais faire court, c’est loupé. 

Merci encore Thomas pour tout ça (…)

Lôlô

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